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Coup de lune

Maman a rencontré papa un soir de pleine lune. Je le sais parce qu’elle se résigne à toutes mes bêtises en soupirant, enfant de la lune, mauvaise fortune. Ce à quoi je rétorque invariablement bla bla bla. C’est à ce moment qu’on se met à rire tous les deux. Maman et moi on s’aime bien.

Papa, c’est une autre histoire.

Un type taciturne qui apparaît et disparaît au gré des marées, c’est pas facile à aimer. Quand elle me raconte leur première rencontre sur la plage à quelques kilomètres de chez nous, celle qui ressemble plus à une embouchure d’égout qu’à autre chose et qui sent souvent le moisi, ça donne ça :

- Héééé !

Maman était toute pompette à ce moment-là, comme elle aime dire. C’était après des grillades improvisées avec ses copines et beaucoup de rosé tiédit.

- Hééééé ! Je vous parle !

Elle avait repéré un homme qui marchait d’un air absent au bout de la plage. Comme elle en avait marre d’écouter Angèle se plaindre comme toujours de son boulo, elle avait décidé de sauter sur l’occasion pour s’échapper du groupe.

Là, ton père s’est arrêté, me disait-elle d’une voix théâtrale. Il avait belle allure, même de loin, même ivre, ça m’a pas échappé, continuait-elle. Il ne disait rien, mais vu qu’il ne repartait pas non plus, j’ai pris ça pour une invitation.

Ma maman elle est comme ça, elle a peur de rien et ne se gêne jamais.

Là, en générale, elle me raconte comment les quelques dizaines de mètres qui la séparait de l’homme, inconnu alors, lui avaient parus longs. Vu qu’elle était à pied nus et qu’elle ne marchait pas droit, ça avait pris un peu de temps.

Ton père m’a regardée avec cette étincelle de curiosité qu’il a toujours au fond des yeux. Elle devenait alors rêveuse et mettait à raconter la suite plus pour elle-même que pour moi. Ça m’a prise d’un coup, je suis tombée amoureuse ! Et vu qu’il ne disait toujours pas non, on a conclu comme ça, directe sur le sable, à la lueur de la pleine lune.

A ce moment de l’histoire, je la perds complètement. Elle revit inlassablement le moment de ma conception. Si je n’étais pas un enfant voulu, en tout cas j’ai été créé dans un moment de joie intense. C’est déjà pas mal.

La pleine lune. Le sable. Le rosé et la joie de maman. C’est tout ce que je sais de papa. Parce que même si je vais le voir chaque mois, sur la plage humide au bout du village, je n’ai jamais pu en découvrir plus.

Papa est toujours là au rendez-vous. Un peu en retrait. Il nous attend, aime répéter maman. Moi je sais pas top. Il nous regarde toutes les deux avec ces grands yeux curieux. Passe une main épaisse dans mes cheveux et plisse ses lèvres en ce qui doit être un sourire. Mais il ne parle pas. Et après quelques minutes, il nous tourne le dos et disparaît dans la nuit.

Il ne reste alors plus que moi, maman et la pleine lune sur la plage.


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