Les malheurs de Justine
- eloisevallat
- il y a 7 jours
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Elle est au bord de la crise de nerfs. Echevelée, cernée, voûtée. Quand vous vous voyez pour un café volé entre deux trous dans vos agendas, vous avez ce plaisir coupable de vous sentir d’une vitalité éclatante en comparaison. Même avec vos quelques années de plus. Même avec vos tenues négligées. Même avec vos cinq kilos supplémentaires sur les hanches. Votre copine Justine menace de s’écrouler sous le poids de la tasse qu’elle porte à ses lèvres. Loin de l’amie d’enfance avec qui vous avez fait les quatre cents coups à grand renfort d’éclats de rire, c’est une femme de plus en plus déprimée qui vient s’asseoir en face de vous. Une femme que vous peinez à reconnaître, qui vous fait un peu peur, qui semble désormais vous confondre avec sa psy. Et vous vous retrouvez à l’écouter vous raconter ses malheurs par le menu, faisant obligeamment taire les vôtres qui, apparemment, n’ont plus aucune place dans cette relation.
Quand vous vous voyez pour un café volé entre deux trous dans vos agendas, vous avez ce plaisir coupable de vous sentir d’une vitalité éclatante en comparaison.
Il y a d’abord les enfants, qu’il faut aimer, éduquer, nourrir, véhiculer, habiller, protéger. Le tout en les laissant vivre, évidemment, sans les étouffer et en étant à l’écoute. Puis, il y a le mari, qui est tour à tour merveilleux et empoté, pas assez ambitieux mais pas assez à la maison non plus. Ajoutez au tableau une mère et deux sœurs qui la rendent folle, mais qu’elle s’entête à voir le plus souvent possible. Complétez par la pression qu’elle se met à faire elle-même son pain, ses conserves et ses produits de nettoyage. Les vacances qui se doivent d’être intelligemment passées à cultiver son corps et son esprit, tout en apportant repos et détente. Et puis, pour couronner le tout, sa carrière qui, étrangement, semble déjà à bout de souffle.
Imparfaite
Quand Justine se tait, son café froid stagne dans sa tasse alors que vous, vous en avez déjà recommandé deux d’un regard suppliant au serveur. Vous commencez à être contaminée par la crise de nerfs de votre copine, mais pour de tout autres raisons. Elle vous gonfle, en fait, la Justine. Parce que vous, votre vie, vous l’avez organisée de manière à pouvoir respirer. Vous achetez votre pain au supermarché, vous avez opté pour le chat plutôt que les gamins, vous vous soumettez sans complexe à la bêtise des écrans. Et apparemment, vous ne vous en portez pas plus mal. Vous tentez de lui suggérer qu’il faudrait peut-être qu’elle lâche un peu du lest. Qu’elle arrête de vouloir porter le monde entier sur son dos, vu que le monde s’en fiche totalement et tournera avec ou sans elle. Mais elle se lève d’un bond en réalisant qu’il est l’heure de se rendre à son cours de fitness, et vous la regardez partir en vous demandant si elle ne ferait pas mieux d’aller faire une sieste. En sortant du café, vous ne pouvez vous empêcher de vous dire que votre vie semble bien légère en comparaison de celle de Justine. Vous vous remettez en route pleine d’énergie. Après tout, ces rencontres vous font du bien.
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