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La Bête dans la lumière

Le chat me regarde et je regarde le chat. Iris dorées et robe noire, la bête joue l'innocente.

Le chat fait sa toilette et je regarde le chat. Langue rose sur fourrure soyeuse, le fauve se prétend douceur.

Le chat s'en va, je regarde le vide.

Comme le vide reste vide, mes yeux se mettent en veille. Ils ne se ferment pas. Ils s'arrêtent simplement de voir. Le sol moucheté de gris sur lequel s'attarde l'ombre du félin. Le pied du bureau où je suis assise, estomac plein et tête vide. Le mur et ses lattes de bois clair qui épaississent la pâle lumière d'un soleil d'hiver. Le décor reste bien en place.

L'odeur du repas achevé. Le souffle du four qui s'endort. La fraîcheur des pages blanches sous mes doigts. Le grésillement de la ligne à haute tension qui s'étire au-dessus de la maison. Rien ne disparaît.

Pourtant, mes yeux, lassés ou simplement libérés, lâchent l'affaire. Ils entraînent dans leur démission les nerfs, les muscles, le cerveau, les neurones, les synapses, les pensées et les rêveries. La grande machine se met sur pause.

Alors, le chat revient.

Le chat me regarde, je ne vois plus rien. Il reste prudent, baille, vient se frotter contre mes jambes. Je ne suis plus là.

Il se nettoie les pattes, puis les oreilles, me guette du coin de l'œil. Je reste absente.

Le chat se donne un dernier coup de langue, déroule ses pattes et sa colonne en un étirement paresseux, puis esquisse un faux bâillement voluptueux.

Ses crocs et ses griffes apparaissent et s'allongent. Ses ronronnements se changent en râles, prennent la texture du papier de verre, se font sifflants. Ses moustaches se hérissent, se transforment, deviennent des serpents qui s'emmêlent sur un museau désormais difforme. Son corps se dilate et son poil enfle, s'épaissit, se rigidifie, devient carapace. Le monstre reprend sa véritable forme et moi, perdue dans ma bulle, je ne vois rien venir.

La bête bondit.

La bête m'avale.

Le décor reste bien en place. Rien ne disparaît. Sur la chaise, vide, un chat fait sa toilette.

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