En serais-je capable?
#1 Les chroniques refusées
Avez-vous déjà pensé à tuer un être humain ? Pas en rêve, pas dans un livre ou une simulation informatique. Pour de vrai. Consciemment, volontairement, objectivement : tuer un de vos semblables et en assumer la responsabilité. C’est une pensée étrange à entretenir.
Le premier réflexe, c’est d’en rire, de repousser cette idée, de l’étouffer. Evidemment, tuer ça ne se fait pas. En tant qu’être un tant soit peu civilisé, nous avons mille autres manières de résoudre une confrontation problématique : la communication, la justice, l’éloignement. Comment quelqu’un pourrait-il en arriver à ce geste ultime et sans retour ?
Il semble pourtant qu’il y en a que la pensée ne rebute pas tant. Qui, par un raisonnement différent du nôtre, se sont dit que, oui, tuer fait partie des options. Que c’est d’ailleurs peut-être une solution plus simple et plus concluante qu’une autre. Qu’elle se justifie et qu’on ne devrait pas leur reprocher. Bien sûr, c’est moche. Bien sûr, ils préféreraient pouvoir faire autrement. Mais ils ne voient pas comment.
Je pense aux guerres incessantes, à la peine de mort loin d’avoir disparu, aux féminicides. A ces choses qui nous font lever les yeux au ciel et s’exclamer : mais enfin, pourquoi ? Et crier haut et fort tout le mal que l’on pense de ces affreux qui ne savent que recourir à la force et font des ravages sur leur passage. Personne n’oserait cautionner ces actes. Tant mieux.
Et pourtant, l’autre jour, j’ai écorné cette pensée toute puissante. J’ai osé envisager le pire. Il a dû falloir une poigne solide à l’univers pour suspendre mon geste. Car j’étais tout à fait prête à m’y mettre, en mon âme et conscience j’étais convaincue que c’était la bonne solution.
L’objet qui a fait naître cette pulsion destructrice ? Un homme, étalé de tout son long sur un matelas, paisiblement endormi et contrariant mon sommeil par des ronflements irréguliers. Même pas bien fort les ronflements, plus un ronronnement comme il m’a expliqué après, quand j’ai été à même de revenir à des sentiments plus modérés. Et il avait raison. Mais sur le moment, j’ai brièvement fait corps avec les pires assassins. J’ai sincèrement pensé que le meurtre serait justifié. Pas par manque d’amour, pas en réponse à un crime impardonnable. Juste parce que je voulais dormir. Et que tout ce qui m’en empêchait c’était ce petit ronflement entêtant.
Ma conscience a pour un instant ignoré ce commandement qui nous dit : tu ne tueras point. C’est une sensation étrange que de contempler ainsi l’envie de donner la mort. Au-delà de toute considération morale, et dans la plus grande franchise, j’ai pensé à tuer un être humain.
Que cette prise de conscience me serve de garde-fou. « Garde tes amis proches, mais tes ennemis encore plus » dit le proverbe. Celui-là, je ne le laisserai jamais échapper à ma vigilance.
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