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Hiberner en paix

Le mois d’octobre avait été magnifique. Soleil, douceur et nature rougeoyante. Le chant du vent dans les arbres. Le crissement des pas écrasant les feuilles mortes. De longues promenades avec Fidèle qui, une fois libéré de sa laisse, courrait de toutes ses courtes pattes et aboyait contre les nuages d’oiseaux migrateurs.

Les matinées froides promettaient des journées éclatantes. La lumière chaude et bienveillante de l’après-midi se muait en une brume scintillante au crépuscule. L’automne semblait vouloir concurrencer le printemps. La nature rayonnait.

Georges n’en pouvait plus. Il était à bout de tout : de nerfs, de patience, d’émerveillement et de grand air. Il aurait voulu que la vie lui foute la paix. Que le soleil se décide à disparaître derrière les nuages. Que la pluie tombe, grise et froide. Que les feuilles mortes pourrissent. Que le vent chasse pour de bon les oiseaux bruyants et que Fidèle arrête de réclamer des promenades en grattant le paillasson.

Georges était prêt à entrer en hibernation. Il le sentait dans ses chaussettes en laine ressorties du placard. Dans la couche de gras qui épaississait sur son ventre. Dans la pile de livres à lire qui vacillait en équilibre sur son bureau. Georges voulait que le froid et le moche s’installent pour pouvoir traîner en paix chez lui, sans culpabiliser de ne pas profiter de cet été indien interminable.

Lorsqu’octobre céda la place à novembre et que le beau ne fit pas mine de disparaître, Georges décida d’agir.

Il commença par bannir le soleil de chez lui. Comme les rideaux ne suffisaient pas à faire oublier son éclat, il cloua sur ses fenêtres de lourdes planches en bois trouvées dans le garage. Ainsi apparut l’obscurité.

Georges assigna ensuite Fidèle à sa niche. Le chien eu beau gémir et pleurer, l’homme resta de marbre. Ainsi vint le silence.

Puis, Georges alluma un grand feu dans le vieux poêle du salon. Au son du papier froissé, de l’allumette grattée et de la première étincelle, son cœur s’emplit de joie. Ainsi commença la danse des flammes.

L’homme enfila ensuite ses chaussettes en laine. Celles déjà raccommodées trois fois mais qu’il ne pouvait se résoudre à jeter. Il enveloppa son corps grassouillet d’une couverture en velours épais. Saisi le premier romand qui lui tomba sous la main et se cala dans le fauteuil en cuir tiède, devant le feu, les pieds repliés au chaud sous lui.

Georges soupira de bonheur. Entama sa lecture. Se détendit. Relu pour la dixième fois la même ligne. Se frotta les yeux. Et s’endormit.

***

Le lendemain, on put lire dans le journal:

La nuit dernière, un quadragénaire est mort tragiquement, asphyxié chez lui. Alertés par les aboiements de son chien, les voisins ont averti la police qui n’a pu que constater le décès à son arrivée. L’homme, pour une raison inconnue, avait obstrué ses fenêtres et fermé la porte à double tour. Il ne s’est visiblement pas réveillé lorsque la fumée produite par son poêle bouché a envahit la pièce. Il a été retrouvé dans son fauteuil, un livre sur les genoux et un sourire paisible sur les lèvres.


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