L'inégalité dans le sang
Les chroniques refusées / épisode 2
Etes-vous comme moi fan des bains de sang cinématographiques ? De ces films où le scénario se résume à trois lignes mal écrites réhaussées de litres d’hémoglobine ? Des murs repeints en rouge sombre à grands coups de couteau ou de tronçonneuse ?
Cela n’est pas du goût de chacun, je vous l’accorde. Alors, peut-être faites-vous partie des amateurs de westerns où les balles de revolver criblent bons et méchants sans grande distinction ? Des chemises tachées laissant deviner des plaies terribles ? Des corps tourmentés, emmailloté dans des linges tentant tant bien que mal de comprimer un épanchement douloureux ?
Pour les plus terre à terre, ce seront les informations de vingt heures et les victimes de tel ou tel conflit. Les visages plus raisonnablement amochés, agrémentés de poussière et de larmes. Rien de tel qu’un gros plan sur une fracture ouverte ou une pommette éclatée pour faire monter l’audimat.
Quel que soit l’écran, quelle que soit l’image, il y a fort à parier qu’elle sera à un moment ou à un autre sanglante. Ce fluide précieux s’empare de nos pensées avec un pouvoir quasi hypnotique. Impossible de détourner le regard. Vecteur de notre humanité, de notre histoire, de notre peur et de notre fascination. On nous en sert à toutes les heures, à toutes les sauces. Et nous nous en délectons, nous en redemandons !
Alors devant cet amour étrange je m’interroge : pourquoi est-il toujours aussi tabou de parler des menstruations féminines ? Pourquoi sont-elles encore honteuses, cachées, dénigrées ? Pourquoi la hantise de la tache persiste-t-elle ? Pourquoi les publicitaires s’évertuent-ils à faire couler un joli liquide bleu pâle sur les protections hygiéniques qu’ils veulent nous vendre ?
Du sang, nous pouvons vous en faire voir sans rien devoir faire. Pas d’effet spéciaux, pas de mise en scène dramatique, pas de petite poche plastique à percer au moment propice. Nos corps se chargent de faire couler ces incroyables rivières rouges mois après mois. Nous pourrions écrire en lettre écarlates plus d’épisodes que toutes les séries policières qui inondent nos écrans. Nous pourrions alimenter les réseaux sociaux de vrais belles éclaboussures agrémentées de caillots, de mucus et de glaires en tout genre. Nous pourrions mourir et renaître inlassablement au gré des cycles qui rythment nos vies.
Pourtant, ce sang-là, il ne fait rêver personne. Il faut le dissimuler, le taire, en faire disparaître la moindre trace. Il est bien possible qu’en ce moment même, sa mention vous gêne et que vous tourniez rapidement la page pour revenir à des sujets plus respectables. La guerre, les exploits de la médecine ou une recette copieusement arrosée de sauce tomate.
Du sang, on veut bien, mais pas n’importe lequel. Celui des corps fascine, celui des utérus répugne. La lutte pour l’égalité est loin d’être terminée.
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